5 sept. 2012


Contribution à la préparation du livre blanc

En ma qualité de citoyen, je souhaite apporter une modeste contribution au nécessaire débat qui doit accompagner la rédaction du Livre blanc. Il n'est pas question ici de se substituer aux travaux de commissions de spécialistes mais d'apporter un éclairage sur quelques points. La Cour des Comptes, le Sénat ont récemment écrit sur les orientations futures possibles pour nos armées sans préjuger des travaux lancés le 13 juillet par le Président de la République.

Le monde dans lequel nous vivons évolue toujours plus vite et sera de plus en plus soumis aux aléas climatiques et à la raréfaction globale des ressources. L'Europe perd lentement de sa puissance au détriment de nombreuses grandes nations émergentes. Cette compétition donne lieu à une accélération de la course aux armements dans de nombreuses régions du monde dont certaines affectent les intérêts stratégiques de l'Europe.

En Asie, le Chine et l'Inde se livrent à une course à la supériorité militaire entrainant la majorité des états de la région même les moins riches comme les Philippines. En Amérique du Sud , la situation est identique avec la compétition entre le Brésil, le Venezuela et le réarmement chilien. La situation est toujours explosive au Moyen Orient avec une concentration de forces militaires de mieux en mieux équipées aux abords de l'Iran. En Europe on constate une forte baisse des dépenses militaires. Aux États-Unis, la tendance est la même après la très forte augmentation de la dernière décennie.

Les menaces
Les menaces restent sensiblement les mêmes mais évoluent en raison de la fragmentation toujours plus prononcée du monde (tensions identitaires, religieuses, ethniques, ou économiques et sociales). Les conflits asymétriques et le terrorisme continueront sans doute à prévaloir dans de vastes zones. La piraterie maritime malgré une accalmie récente dans le basin de Somalie va perdurer voire se développer dans certaines régions du monde. La diversité des situations de crises ne doit pas mener à une simplification réductrice. Chaque conflit a sa propre logique qu'il sera important d'appréhender pour mieux s'y confronter.

Les zones d'instabilité se déplacent le long de ce que l'on appelle pour simplifier - l'Arc de crise . D'autres zones pourront être touchées et créer une nouvelle surprise stratégique. La zone AFGH-PAK ne sera sans doute pas plus stable après le retrait de la FIAS mais l'intérêt pour cette zone pourrait être moindre pendant plusieurs années. La Somalie et le Soudan continueront à constituer des zones de conflits même si pour cette dernière , l'action de l'AMISOM renforcée devrait permettre enfin de stabiliser cette région.

Les évènements récents dans la zone sahélienne amène à penser que cette zone sera de première importance au cours des prochaines années. L'Union Africaine et la CEDEAO auront besoin de l'aide de l'Europe. L'UE ne s'y est pas trompée en créant une mission (EUCAP SAHEL NIGER) pour renforcer les forces de sécurité de ce pays et ne proposant une force de stabilisation pour le Mali. Il en va de la stabilité de vastes zones ainsi que de l'approvisionnement en matières premières stratégiques comme l'uranium.

Plus inquiétants sont les menaces contre notre territoire, nos infrastructures, nos réseaux d'informations. Au delà de la cyberdéfense, il faut désormais intégrer la notion de cyberguerre qui donne une dimension nouvelle. La prise de la fragilité de nos sociétés et l'adaptation à ces menaces est cruciale pour les armées.

Ces quelques lignes ne peuvent pas traduire toute la complexité du monde dans lequel nous évolutions mais permettent de mettre en perspective les menaces. Le PP30 reprend ces mêmes thématiques qui sont désormais bien connues.

Quelle est notre réponse à ces menaces

La défense française s'est continuellement adaptée au contexte environnant, souvent dans l'urgence. Si un rapport récent de la Cours des Comptes décrit les difficultés de l'institution militaire à "digérer" l'ensemble des reforme sen cours ; le bilan reste globalement positif. La création des bases de défense et la montée en puissance du niveau interarmé est encore une nouveauté pour les armées. Les lois de programmations, les quelques livres blanc successifs, ont permis de tracer une voie cohérente malgré les changements politiques et les aléas budgétaires.

Aujourd'hui , la France au sein de l'OTAN et de l'UE joue encore un rôle dans ce monde dangereux. Sans faire de triomphalisme, elle dispose encore d'un vaste spectre de capacités militaires. Grâce à ses bases réparties le long des zones crisogènes et à ses forces prépositionnées ou de souveraineté ; elle peut réagir très vite au profit de l'Europe où de ses intérêts propres.

Les interventions actuelles surtout en Afghanistan, en Libye en 2011 et dans la lutte contre la piraterie en Somalie témoignent de cet engagement en faveur de la paix et de sa capacité à agir en ouverture de théâtre. Selon les sénateurs l'opération Harmattan, conjuguée avec les autres engagements opérationnels ont conduit l’armée de l’air à la limite de son contrat opérationnel.

Ces engagements récents mettent aussi en exergue les maux dont souffrent les armées de tous pays. Elles sont rarement prêtes au conflit suivant ; elles ont toujours besoin d'une période d'adaptation des matériels , des tactiques et des personnels.

Le nouveau livre blanc devra prendre en compte l'évolution des menaces et intégrer la nouvelle dimension de la crise économique. Il faudra sans doute chercher des solutions simples et économiques à nos problèmes. Il va falloir rompre avec le tout technologique et chercher des solutions déjà éprouvés techniquement sans désarmer notre pays.

Quelques recommandations
il n'est pas question d'évoquer un quelconque contrat opérationnel ou un format d'armées hors de portée pour ce modeste article. Je me bornerais a évoquer des capacités qui font défaut à nos armées ou celles à préserver. Trop souvent le maintien d'une capacité ou sa disparition ne sont que le résultats de lobbying entre armées et subdivisions. Ceci n'est plus acceptable par les citoyens de ce pays.

-Continuer à penser un conflit majeur comme une possibilité envisageable.
-Capitaliser l'expérience du conflit afghan et généraliser l'utilisation des équipements acquis .

Projection des Forces
-L'armée française est une force expéditionnaire, malheureusement sans moyens de projections suffisants. Chaque année plusieurs centaines de millions d'euros sont dépensés en contrat pour la location d'appareils de transports stratégiques russes.
-Penser la projection des forces à l'aune de l'alourdissement des unités. Disposer d'une capacité propre(ou au sein de l'EATC) d'appareils de transport stratégique en plus des A400M. Le C17 semble s'imposer car quinze exemplaires sont en service au sein de pays de l'OTAN (hors USA), L'imminence de la fermeture des lignes d'assemblage de C17 milite pour un choix rapide.

-Effectuer un choix comparable pour un hélicoptère de transport lourd, éprouvé comme le CH47 qui démultiplierait les capacités de l'ALAT ou de l'armée de l'air .

-Continuer à entretenir un réseau d'implantations outre-mer et à l'étranger. Mutualiser au profit de l'Europe ou dans le cadre d'accords bilatéraux, une partie de ces installations.

Capacités d'agression

-Donner une puissance de feu supérieure aux forces conventionnelles en anticipant une réduction de nos unités en général
-Pour l'infanterie, il faut redonner des moyens d'appuis organiques comme des mortiers , généraliser la mise en place de lance grenades de 40 mm ou de type Airburst .
-Pérenniser le LRU qui est une arme de précision longue portée.
-Envisager l'achat d'appareil gunship utilisant des appareils du type Casa 295. Armer les drones MALE des leur mise en service. Redonner une capacité antiradar à l'armée de l'air.

- Pour la marine développer la mise en place des missiles sur la majorité des structures. Doter les navires de « premier rang », d'une artillerie de calibre 127 mm afin de permettre un appui feu naval qui a démontré encore son utilité lors de l'opération Harmattan.

Adaptation
-Considérer que poursuivre l’adaptation de nos forces, c'est quelquefois remettre en questions certains choix faits par le passé. Au sein de l'armée de terre, remettre en place la pleine capacité opérationnelle des unités semble indispensable.

-Adapter les unités au combat en zone désertique et en montagne.

-Développer le caractère amphibie de certaines unités et acquérir des matériels spécifiques.

-Amplifier la coopération européenne dans le domaine de l'armement dans le cadre d'une restructuration négociée du secteur au niveau européen.

Privilégier l'ONU
-S'engager plus au profit des Nations Unies pour en faire le seul garant de la paix internationale. Divers conflits sont négligés et qui nécessiterait un soutien de la France aux opérations de l'ONU; on peut citer le cas d'Haïti, du Soudan ou du Darfour.


Conclusion
On pourrait penser que les propositions énoncées ci-dessus se résument à acheter des équipements outre atlantique. Il s'agit de pouvoir disposer des équipements indispensables à la conduite d'opérations militaires. Ce que les industriels français et européens ne peuvent construire doit être acheté. A l'inverse, investir dans les drones de longue endurance ou la défense antimissile en national doit être une priorité.

Comme le dit la commission de la défense du sénat : "Nous avons une « armée de poche » - de haute qualité mais vulnérable aux effets de rattrapage dus à la crise comme aux évolutions technologiques défavorables."


Sources
rapport N° 680 Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juillet 2012